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AU BORD DE L'EAU, ÉDITIONS FEÏ
 

Certains connaissent bien ce monument de la littérature chinoise qu'est Au bord de l'eau. Certains l'ont même lu. Il en existe même qui l'ont lu jusqu'au bout, si ce n'est en pléïade, du moins en folio (deux gros volumes).

Dans cette histoire médiévale toute une tripotée de brigands, d'horizons divers mais tous en opposition avec le pouvoir central, se rassemble dans des marécages et crée ainsi un bon grumeau de résistance au sein de l'Empire.

Certains sont d'origine noble, d'autres sont de basse extraction, d'autres viennent même d'ordres religieux. Ils ont comme point commun d'être plutôt coriaces en baston, d'êtres presque tous des hommes et surtout de ne pas aimer trouver des poils de cul dans leur potage. Ici en Europe, on trouve pas mal de tentatives d'adaptation de ces textes du XIVe siècle, dont une par Magnus et une autre par Morvan. Les Chinois ne sont pas restés en rade et eux aussi, ils ont fourni des versions illustrées de leur monument national. Publiées sous la forme de "lianhuanhua" dès le quatorzième siècle, en gravure sur bois. D'après ce que j'en sais les lianhuanhua sont une forme de narration assistée de dessins qui présente quelque cousinage avec notre bande dessinée, à ceci près qu'elles sont constituées principalement d'un dessin par page et soulignée d'un important récitatif.

Si l'on peut y trouver des phylactères, il semble bien que le texte prime et soit indispensable à la narration. Bénéficiant parfois d'un tirage très important, les lianhuanhua sont édités dans un petit format à l'italienne aisément transportable dans une poche de prolétaire. Au XXe siècle, dans la Chine communiste il y eut d'abord une première vague d'adaptations d'Au bord de l'eau dans les années 50, sous la responsabilité d'un certain Jiang Weipu.

Malheureusement dans les années soixante la récession succédant au Grand bond en avant et le virage programmatique de la Révolution culturelle sonnent le glas de cette production tournée vers la Chine ancestrale. Il faudra désormais attendre la mort de Mao pour que la thématique des Brigands du marais soit à nouveau bien vue au comité central. Les originaux des années 50-60 ayant été détruits, Jiang Weipu reprend tout à zéro, et réunissant une nouvelle équipe artistique, reprend l'adaptation du chef d’œuvre.

C'est donc ces versions que les éditions Feï vous proposent désormais d'acquérir en français dans un assez luxueux coffret toilé bleu.

Cet écrin contient 30 petits fascicules (des lianhuanhua, donc) de 14,9 cm de long sur une hauteur de 11,4 cm (masse et épaisseur variables). Chaque livret correspond à un chapitre du livre et est confié à une équipe artistique différente. Les dessinateurs sont tous de bon niveau et se permettent parfois d'exprimer leur sensibilité propre. Ils ont en commun une grande maîtrise de la circulation des blancs.

Oui, en dehors des couvertures, les récits sont en noir et blanc.C'est d'ailleurs la partie graphique qui emporte ici l'adhésion. L'adaptation consistant surtout à retrancher du texte et des péripéties. La lecture des ces fascicules se rapproche plus de celle d'un livre illustré que de celle d'une bande dessinée telle qu'on l'entend de ce côté-ci du monde depuis que les phylactères et les récitatifs ont enterré les massives adjonctions de textes sous chaque vignette.

Pour nourrir la réflexion de nos lecteurs voici la première page du premier livret :

Et voici la page correspondante dans le folio (début du chapitre II)

Je ne vais pas ici me livrer à une analyse de l'adaptation, d'autant que je n'ai eu le temps que de lire vite fait quelque fascicules et que ma lecture du premier folio date d'une douzaine d'années. Ici c'est juste un blog, pour les articles de fond, voyez l'université ou le site du9.

Le coffret est d'une dimension assez imposante, il prend sur une étagère l'équivalent de 8 ou 9 Blake et Mortimer. Toutefois présenté de face sur le devant d'une étagère assez large, il devrait produire son petit effet sur vos invités. C'est également un cadeau de Noël fort efficace, de ceux qu'on reçoit avec émotion, qu'on palpe après s'être soigneusement essuyé les doigts du gras de foie qui pourrait encore s'y trouver. On le considère avec respect en se disant qu'on lira ça avec soin dans son fauteuil club lorsqu'on aura le temps et un fauteuil club. Même s'il ne sera jamais vraiment lu, pendant des années la simple vision de son épais dos azur vous réconfortera et vous plongera dans des rêveries extrême-orientales, faites de roseaux oscillants, de falaises vertigineuses plantées de quelques épineux saillants et tordus, de montagnes émergeants de rizières brumeuses... Et lorsque la dernière tablette de lecture rendra l'âme dans un hoquet plaintif et hululant face à l'impulsion électro-magnétique annonciatrice de la fin des temps, vous brandirez fièrement dans votre poing gigantesque et puissant le monumental coffret, relique scintillante d'un temps où l'on aimait les beaux objets.

Chers clients, pour que vous ayez une vision précise de la taille de l'ouvrage, nous avons fait appel à Gino. Où plutôt à une fève en forme de Gino. Gino est le sympathique serveur du restaurant À la bonne fourchette, l'établissement des parents de Tom-Tom et Nana (éditions Bayard). Il n'a évidemment rien à voir avec les brigands chinois, mais c'est tout ce que j'avais sous la main. Gino fait environ 2,2 cm. Vous le verrez ci-dessous successivement sur les folio (gallimard) et sur le coffret Feï.

Au bord de l'eau, coffret réunissant 30 fascicules plus un livret de présentation, EAN : 9782359660845. 79 €. Tirage annoncé par l'éditeur : 2000 exemplaires. En vente à Aaapoum bapoum et aussi sur www.aaapoumbapoum.com.

 
2001 NIGHTS STORIES DE YOKINOBU HOSHINO
 

Le monolithe de Noël

Dans quelques jours les éditions Glénat sortent un coffret que vous aurez peu de chances de trouver chez nous avant un moment. Tiré à seulement 2001 exemplaires, cet épais bloc de science-fiction qui réuni deux beaux volumes format A4 (ce qui pour du manga est assez grand) est en effet vendu 99 €. Chaque exemplaire est accompagné d'un ex-libris numéroté et signé, agrémenté au dos d'un autenthique dessin original d'Hoshino – pour ce que nous en avons vu, en général un visage féminin de trois quart assez élégant. Dans ces conditions il est probable que ses acquéreurs ne le revendent pas immédiatement et que l'éditeur en distribue relativement peu. Aussi si vous voulez lire cette œuvre assez rapidement il vaut mieux aller l'acheter ailleurs que de l'attendre chez nous. Mais... est-ce que ça en vaut la peine, et d'abord qu'est-ce que c'est que ce truc ?

Comme son titre l'indique cette œuvre fait référence au film de Kubrick et de Clarke, 2001 l'Odyssée de l'espace, sorti sur les écrans en 1968 et qui marqua profondément l'imaginaire des spectateurs de l'époque (monument qui, cela dit en passant, n'a pas pris beaucoup de rides plus de 40 ans après). Au milieu des années 80, Yokinobu Hoshino et son éditeur décident de rendre hommage au long métrage à travers une série de nouvelles. Le temps de 6 histoires l'exercice sera mené avec une efficacité réelle. L'auteur japonais parvient à décliner des situations du film avec le même souci de vraisemblance. On est en pleine SF hard science. Les vaisseaux, les capsules, les scaphandres sont bien dans la même veine que dans le Kubrick. C'est en quelque sorte fatal, puisque de toutes façons ils puisent également dans les mêmes sources et s'inspirent des recherches et développement des agences spatiales réelles.

Dès la septième histoire, Hoshino sent la limite du système et s'il garde le même tempo, il s'éloignera délibérément du carcan imposé poar son modèle initial. Les 13 autres nouvelles aborderont donc les 4 siècles à venir de la colonisation de l'espace.

Le dessin, digne produit d'une école réaliste japonaise où s'abreuvent aussi bien Otomo, Hôjô, qu'Ikegami et Taniguchi, est très maîtrisé et élégant. Si les personnages sont frappés par une trop grande standardisation, le style froid d'Hoshino colle très bien à la description des mécaniques volantes et des glaciaux espaces sidéraux. Des posters dépliants et de nombreuses pages couleurs accentuent des effets spectaculaires déjà abondants. Leur naïveté pompière heurtera probablement les sensibilités les plus austères mais réjouira les autres.

À moins qu'elle ne soit un premier contact avec le genre, cette œuvre ne devrait changer la vie de personne, mais elle demeure une bonne référence bédéïque en science-fiction. Je ne dirais pas un incontournable, mais plutôt un bon classique jusqu'ici inédit en France. D'Hoshino, nous n'avons d'ailleurs jusqu'à présent qu'eût droit au Trou bleu, chez Casterman en 1996. Les éditions Glénat comblent donc une lacune et se voit justement sélectionnées pour le prix du patrimoine à Angoulême 2013.L'objet est joli, les livres ont une prise en main agréable, le paier est épais et l'impression est de qualité – je l'écris en gras car c'est important et rare.

2001 Night Stories de Yukinobu Hoshino, coffret réunissant deux volumes, ex-libris n° et s. 99€.

2001 Night Stories de Yukinobu Hoshino, coffret réunissant deux volumes, ex-libris n° et s. 99€.

Donc pour conclure je vous dirais que si vous gagnez au moins 2500 euros par mois et que vous aimez la science-ficition, l'achat de ce coffret est tout à fait valable. Si vous gagnez 1800 euros par mois et que vous voulez faire très plaisir à quelqu'un qui aime la science-fiction, alors c'est aussi valble. Sinon... c'est peut-être un investissement un peu excessif.

Pour info il semble que le sous-titre étrange "version d'origine" soit une concession aux éditeurs japonais pour qui cela signifierait en français quelque chose comme "la version telle que l'auteur l'aurait toujours voulue".

Il est vrai que le français du Japon n'est pas exactement le même qu'ici.

 
EN ROUTE POUR LA V.A.D.
 

 Une nouvelle concession au modernisme.

"Ainsi le numérique apparaît comme la fin de la bibliothèque personnelle, vécue comme démarche intellectuelle, témoignage culturel, refuge du souvenir ou labyrinthe secret, en un mot comme reflet de soi. Le numérique fait perdre son objet à cette patiente construction où chaque livre a sa place et son histoire : toutes les collections sont immédiatement possibles, donc aucune n'a plus de sens."Jean Sarzana (et Alain Pierrot) in Impressions numériques, Cerf, Paris 2011.

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En attendant l'effectivité de ces joviales prédictions il reste un peu de temps devant nous pour vendre du papier. C'est dans cette optique que nous ouvrons aujourd'hui notre site de Vente à distance (VAD).

L'ouverture de ce secteur ne correspond pas chez nous à une volonté de repli. Nous continuons à privilégier la vente en librairie et le contact direct avec les clients. Nous restons attachés à la création d'un espace complexe au rangement fluctuant, aux nids de poussière indélogeable, à l'éclairage intermittent, aux rayonnages surchargés et parfois branlants, arpentés par des passionnés, des vagabonds, des maniaques, de simples passants ou même de courageux chapardeurs en quête d'un forfait, bref ce lieu à l'ambiance si particulière qu'on appelle librairie.

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Cependant nous avons pris en compte le fait que de nombreux clients potentiels n'habitaient pas tout près et se désespéraient de ne pouvoir nous acheter ces excellents Wimbledon Green de Seth ou ces formidables Jack B. Quick d'Alan Moore, ou encore ce magnifique pack 3 tomes de Garth...

De plus je soupçonne que certains amateurs de bande dessinée aimeraient bien nous acheter des livres, mais sont rebutés par l'idée de venir à la librairie car ils pourraient y entendre Stéphane et ses amis théoriser sur les tendances hype du neuvième art tout en mangeant des bo buns : ... atroce.Désormais c'est un problème qu'ils n'auront plus : tout le monde peut dès maintenant nous acheter des livres à distance sur www.aaapoumbapoum.com/boutique, le contrepoint commercial de notre blog totalement désintéressé, lui. Paiement sécurisé par notre banque, ou par Paypal. Nous acceptons même le paiement par chèques, ce système si désuet !

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Pour toute question relative à nos produits vendus sur le web, vous pourrez désormais nous contacter sur boutique@aaapoumbapoum.com.

Amusez-vous bien, le papier bulle est tout chaud.

 
BICYCLE 3000 DE O SE HYUNG
 

Sordide sans tonitruance

Un fait divers sordide comme notre espèce est assez propice à façonner est à l'origine de cette bande venue de Corée. Elle commence par une garde à vue et dès les premières pages le lecteur aura compris toute l'histoire, que nous ne développerons pas ici. Une histoire si simple que même le bouleversement chronologique n'arrive pas à la brouiller.

Le dessin, assisté de photographies manque considérablement de puissance mais la mise en scène est fluide et élégante. Un peu démonstrative dans l'affichage de sa retenue, mais elle fonctionne bien sans exiger un investissement démesuré du consommateur. L'auteur a sans doute voulu compenser l'inexpressivité de ses personnages (un jeune homme simplet et une jeune fille dont la discrétion frise l'effacement) par une narration limpide. Ainsi c'est une bonne petite dose de glauque facilement assimilable qui est à votre portée en une heure de lecture. On referme le livre un peu plus triste qu'avant, c'est donc que quelque chose est survenu. Je vous le recommande, en plus ça sort aujourd'hui, vous pouvez toujours l'acheter chez nos voisins, ou espérez en voir en occaz dans pas trop longtemps chez nous.

184 p. EAN : 9782505015642, Kana, collection Made in, 15€ neuf.

 
PEPE DE CARLOS GIMÉNEZ
 

Il existe parfois de tels écarts entre deux avis que la contemplation de ce gouffre vertigineux laisse à penser que ceux qui se tiennent sur l'autre bord ne viennent pas de la même planète. Je sais bien que ceux qui ne sont pas d'accord avec moi ne sont pas d'un autre monde, mais penser ainsi m'évite tout emportement.

Ainsi, il y a quelques jours une cliente cherche un cadeau pour un ami qui prépare une thèse sur "l'identité LGBT sous le franquisme". Je ne me formalise pas de la formule LGBT, qui m'agace comme beaucoup de sigles, mais qui a déjà dû faire l'objet de nombreux débats animés dans le milieu militant concerné. LGBT pour ceux qui comme moi ne sont pas familier avec les sigles veut dire Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transgenres. Je ne me formalise pas car je suis là pour servir les clients sans trop leur casser les noix et qu'en plus je suis content car j'ai un excellent ouvrage à proposer à cette jeune fille (plus jeune que moi, s'entend). Il s'agit du dernier Carlos Giménez, Pepe, édité il y a quelques semaines par Charlie Hebdo – Les échappés.

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Carlos Giménez est l'un de mes auteurs favoris comme le savent les lecteurs de ce blog. La récente offensive patrimoniale des éditions Fluide Glacial, à la suite de Mosquito, permet à de nouvelles générations de profiter de ses œuvres introuvables et, à tous, de découvrir les inédits produits ces dix dernières années. Ainsi les deux tomes Paracuellos furent réédités, accompagnés par les 3 suivants , inédits en France, regroupés dans une agréable intégrale (2009), puis Barrio (2011) et en 2012 Les Professionnels bénéficièrent du même traitement (rééditions + inédits).

Giménez fut celui qui ouvrit la voie à la bande dessinée autobiographique en Europe à la toute fin des années 70. Tirés de ses propres souvenirs, ses histoires reçurent un tel écho qu'au fil des années nombreux furent les Espagnols qui vinrent témoigner auprès de lui de leurs expériences similaires ou voisines. De cette matière foisonnante, tirée de l'expérience de la vie transmise oralement, Carlos Giménez a fait une œuvre émouvante et drôle, capable de regarder l'humanité en face, qu'elle se montre atroce ou amène. Une œuvre qu'il n'a cessé d'enrichir et de poursuivre au fur et à mesure qu'il devint le réceptacle d'une partie de la mémoire de son pays.

Pepe n'est sans doute pas son meilleur livre, mais il nous intéresse tout particulièrement, nous les amateurs de BD. En effet il peut être vu comme un prolongement des Professionnels qui met en scène un studio de créations de BD à Barcelone dans les années soixante.

Pepe est le portrait plus détaillé de l'un d'entre eux. Pepe c'est José González, dessinateur réaliste puissant qui excellera par exemple dans Vampirella (incroyable ! Au moment où je saisis cette phrase un client passe en caisse avec un Vampirella et me demande si je n'en ai pas d'autres !) et en général dans la représentation de femmes sexy. Nous apprenons notamment dans ce premier tome de Pepe (l'auteur semble vouloir en faire 5 !) que José González ne semble pas vivre sa masculinité exactement comme ses collègues... Ce qui n'est pas toujours évident dans le milieu macho catalan régressif que les lecteurs des Professionnels connaissent bien.

Loin de se cantonner à cet aspect, Pepe, sans insister nous fait découvrir comment la modernité, à travers le rock n' roll, pénètre la société assez confinée de l'Espagne franquiste. Les amateurs des récits nostalgiques de Max Cabanes y trouveront largement leur plaisir. La vie d'un quartier est aussi décrite par petites touches discrètes. Le tout est accompagné par un carnet de photos que l'on doit aux archives d'un autre dessinateur, Josep Maria Beà. Bref pour quiconque s'intéresse à l'histoire de la bande dessinée, à ceux qui l'ont fait et au contexte dans lequel ils ont travaillé, l'acquisition de Pepe devrait être profitable.

Pour en revenir à ma cliente du début, je lui suggère donc l'achat de cet ouvrage, qui me semble très bon et, qui plus est, cadre parfaitement avec la thèse de l'ami à qui il faut faire un cadeau. Je fais ce conseil de manière d'autant plus désintéressée que nous ne vendons pas cet ouvrage. La cliente en prend bonne note et va chercher l'album chez un de nos voisins. Pour moi ce devait être la fin de l'histoire. J'ai faim, je vais m'acheter une part de pizza.  À mon retour dans la rue Serpente je croise à nouveau cette jeune fille, qui à ma question "alors avez-vous trouvé ce que vous cherchiez ?" me lance avec une sorte de joie destructrice : "J'ai lu PEPE et c'est TRÈS TRÈS MAUVAIS !".

Un peu estomaqué je ne trouve que le temps de m'étonner qu'elle ait pu lire cet ouvrage debout en moins d'une demi-heure dans un magasin assez fréquenté, alors qu'il eût fallu lui demander : "mauvais en quoi ?". Hélas je n'ai pas eu cette présence d'esprit car j'aurais sans doute pu m'ouvrir à d'autres univers. Il faut dire que j'avais faim, et une part de pizza goût barbecue dans la main, ce qui met toujours en mauvaise posture pour les débats d'idées. La prochaine fois que je reverrai cette cliente j'en saurai peut-être plus.

Ce qui est bien, mais ne console pas totalement d'un tel désaveu, c'est que suivant son opinion et non la mienne, pendant que j'achetais une pizza elle était revenue acheter quelque chose chez nous plutôt qu'un Pepe chez les autres.

 
RENCONTRE AVEC ATSUSHI KANEKO
 

"Si je n'avais pas raté la fac, je ne serais pas devenu mangaka."

Au mois de janvier de cette année, nous avions eu la chance d'accueillir Atsushi Kaneko, un excellent illustrateur et un mangaka étonnant, dont nous apprécions aussi bien Bambi (6 tomes chez IMHO) –série B punk, frénétique et délirante– que Soil (11 tomes chez Ankama), –fantastique psychanalyse lynchienne d'une ville nouvelle ou rien n'est ce qu'il paraît être.

Grâce à la traduction en direct d'Aurélien Estager, Atsushi Kaneko a pu répondre aux questions de ses lecteurs présents ce jour là.  La vidéo dure un petit quart d'heure et a été enregistrée à l'initiative de Faustine et Nicolas, qui en plus d'être nos clients depuis longtemps sont aussi les valeureux animateurs de la section manga du site planetebd.com. Merci à eux, qui ont captés ces instants malgré l'état grippal qui les accablait et qui nous ont autorisé à diffuser ces images sur notre blog.

Atsushi Kaneko à Aaapoum Bapoum from Aaapoum Bapoum on Vimeo.

Après avoir répondu aux questions avec un naturel notable pour un mangaka, l'artiste a travaillé jusqu'à l'épuisement sur des dédicaces pour nos clients. Merci à lui et aux éditions Ankama et IMHO.

Le son n'est pas très fort, ce doit être ma faute –je suis nul en compression de vidéos– mais vous n'avez qu'à pousser le volume de votre home cinéma.

 
BATMAN : la cour des hiboux (2)
 

On doit pouvoir mesurer l'inventivité d'un scénariste à l'aisance avec laquelle il sort ses héros des situations insolubles dans lesquels ils les a plongés. À cette aune Scott Snyder ne vaudrait pas tripette, en tous cas, si on se borne à lire ses débuts sur Batman. Après une ouverture presque totalement inutile et encombrée d'emphase sentencieuse se voulant profonde, l'on voit Bruce Wayne tombant dans le vide, projeté du haut d'une tour...

Ça semble vraiment foutu pour lui, il n'a pas son costume et en plus il a trois couteaux plantés dans le corps (1 dans l'avant-bras droit et 2 à la jointure des bras et des épaules). Bruce Wayne trouve d'ailleurs ses projectiles particulièrement bien placés : "en plein dans mes artères brachiales. La douleur et l'hémorragie m'empêchent de saisir quoi que ce soit pour stopper ma chute". De plus il nous précise que même s'il pouvait attraper quoi que ce soit, sa "vitesse de chute est telle [qu'il] y laisserai[t] [s]es bras". Le suspens est à son comble. Que va-t-il se passer ? Comment va-t-il s'en sortir ? On tourne la page... Toujours tombant Bruce Wayne assène avec ses bras sanglants une volée de bourre-pifs à un adversaire costumé qui chute curieusement à côté de lui. Puis Bruce se rattrape à une traditionnelle gargouille, se rétablit sur ses pieds et regarde le méchant s'écraser au sol, tout ceci en parfaite contradiction avec ce qui a été énoncé avant.

Le pire est que les auteurs nous refont le coup un peu plus loin. Batman se fait transpercer le tronc par une grosse lame, puis tabasser efficacement. Il est épuisé, sous-alimenté et drogué... Le suspens est à son comble, comment va-t-il s'en sortir ? On tourne la page... Batman décide que ça commence à bien faire, il se relève en colère et fout une branlée à son adversaire. Un sursaut de volonté comme ressort scénaristique.

C'est un peu comme dans une cour de récré.— Pan ! T'es Mort !— Aaaaarghh ! (s'écroule dans un geste théâtral, puis se relève) Ouais, mais en fait non, je ressuscite.

Moi il m'en faut un peu plus pour m'extasier. Je trouve que ces nouvelles aventures de Batman ne commencent pas très bien. En plus, sous prétexte de permettre à de nouveaux lecteurs d'accrocher à l'univers, tout le monde à pris un sacré coup de jeune... Ce fait, cumulé avec une certaine imprécision dans le dessin de Capullo abordant les physionomies, n'aide guère à la différenciation des personnages masculins. Batman et ses trois Robin sont ainsi difficiles à distinguer autrement que par leur gabarit, à la manière des matriochki, les poupées russes. L'autre gentil milliardaire qui veut postuler à la Mairie de Gotham –Lincoln March– (et dont on découvrira vraisemblablement qu'il n'est pas aussi sympa que ça) a ainsi la même tête que Bruce.

Reste une très belle séquence dans le labyrinthe où j'ai l'impression que les auteurs se sont donnés à fond et qu'un peu étonnés par leur performance, ils se sont retrouvés haletants et en sueur dans l'attente des applaudissements qui ne manqueront pas d'arriver, tels ceux des parents à la fête de l'école.

Batman : La cour des hiboux de Scott Snyder et Greg Capullo, Urban comics, 176 pages, EAN : 9782365770415, 15€ en neuf. Chez nous un exemplaire à 12€... Aaah pas tout de suite Alecs vient de l'emprunter, alors qu'il l'avait déjà lu.

 
BATMAN : la cour des hiboux (1)
 

La vision d'un détail dans un coin de case a fait ressurgir en moi un ensemble d'interrogations futiles autour du personnage de Batman et de sa vraisemblance. Le Sombre Chevalier balance un bon coup de pied dans le visage d'un malfrat ukrainien.

À ce moment on peut apercevoir que sous sa semelle il y a son logo, la chauve-souris stylisée. J'ai tout d'abord cru que ce logo était en relief, aussi je m'interrogeais sur la pertinence de marquer ainsi ses semelles, ce qui permettrait à n'importe qui de savoir que Batman est passé par ici ou par là pour peu qu'il y ait un peu de boue. À y regarder de plus près il me semble qu'en fait ce logo est peint sur la semelle dans un petit cercle laissé en creux entre les crans.

Qui a peint ce logo ? Bruce Wayne lui-même, pour passer le temps entre deux séances de muscu et de bricolage ? Plus probablement un de ses nombreux Robin, assumant ainsi une des tâches subalternes qui dans toute société hierarchisée combinent astucieusement humiliation et formation nécessaire. On peut dès lors imaginer que c'est le dernier arrivé, son fils Damian, qui s'est acquitté de la peinture du logo sur les semelles, Dick et Tim, plus anciens dans la boite ayant sans doute depuis longtemps été promus à la peinture des logos sur les carrosseries des nombreux véhicules que l'on peut apercevoir dans la Batcave.

La Batcave... Quel boulot quand même ! Quand on pense qu'il a fallu bâtir tout ça dans la plus grande discrétion, sans faire appel à des intervenants extérieurs pour que personne ne soit au courant, pour que rien ne fuite, pour que personne ne puisse faire le rapprochement entre Wayne et Batman... Et tous ces véhicules, qu'il a fallu assembler en interne, même si certaines pièces ont pu être commandées toutes faites en passant par des sociétés écrans domiciliées aux îles Caïmans... Et ce dinosaure empaillé, oulah ! Ça n'a pa été facile de le faire passer par l'entrée, surtout sans se faire remarquer.

Bon, je ne vais pas insiter trop longtemps. Les fans ne cessent de le répéter, ce qui est bien chez Batman, c'est qu'il n'a pas de superpouvoirs, que c'est un mec presque normal (milliardaire et champion dans tout les domaines, mais en dehors de ça, parfaitement normal). C'est vrai que cette figure est intéressante, mais elle implique qu'on la confronte à une certaine vraisemblance. Que Superman se construise vite fait une gigantesque "Forteresse de solitude" on peut très bien l'admettre, mais qu'un type sans super-pouvoirs qui tient à préserver son identité secrète s'aménage, tout seul ou avec un ou deux stagiaires, une batcave high-tech, ça passe beaucoup plus mal.

Ce problème est inhérent à presque toutes les aventures de Batman et pas seulement au démarrage des nouvelles dans Batman : La cour des hiboux de Scott Snyder et Greg Capullo, mais cet ouvrage est farci de nombreuses autres petites choses gênantes sur lesquelles je reviendrai très prochainement.

Deuxième partie de l'article.

 
Down Under T.1 de Pezzi et Sergeef

J'ai déjà écrit ici tout le bien que je pensais du western australien de John Hillcoat, The proposition, aussi c'est avec curiosité que je me suis penché sur cette production Glénat correctement dessinée, qui semble entrer dans la même catégorie. La référence à Ned Kelly permet de dater l'histoire à la fin des années 70 (1870...). L'histoire est un peu tortueuse et demande une certaine vigilance mais on peut l'admettre d'un premier tome (sur 3 de prévus).

Cependant les personnages m'indiffèrent plutôt. Je déplore surtout la volonté d'exhaustivité de la scénariste : à vouloir caser à tout prix le maximum du fruit de ses recherches sur la période, elle finit par créer une intrigue pleine de grumeaux exotiques et inutiles. Ce parti pris, qui pourrait être pédagogique (vous allez apprendre l'histoire de l'Australie en vous distrayant), est contredit par l'absence de notes explicatives. Ainsi, qu'est-ce qu'un "corroboree" ?

Je sais que les encyclopédies existent, mais une petite étoile comme Charlier les faisait et qui renvoie à une petite note aurait été sympa (d'ailleurs c'est marrant mais dans plein de BD franco-belges, il y a ces petites astérisques, mais souvent elles ne renvoient à rien car le dessinateur a oublié de caser la note). Les soldats que l'on croise sont-ils britanniques ou locaux ?

À propos de ces soldats (ou policiers ?), je trouve que les héros leur parlent avec beaucoup d'impertinence. Je n'ai pas trouvé cette scène très vraisemblable... Je me vois mal ricaner et me foutre de la gueule de flics me demandant si j'ai croisé un sans-pap qui courait. Je leur répondrais probablement juste "euh... non", mais il est vrai que je ne suis pas un héros, que je ne suis pas australien et que je ne suis pas armé.

Ceci dit, cette bédé est tout à fait lisible, mais à son stade actuel de développement, elle ne va pas m'obséder la nuit en attendant la suite.

Down Under t.1 : L'Homme de Kenzie's River de Nathalie Sergeef et Fabio Pezzi, éditions Glénat, une occaz à 10€ vue rue Serpente.

Quelques belles images de R. Crumb
 

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Robert Crumb est un jeune auteur d'origine étatsunienne qui débute et qui a récemment immigré en France dans l'espoir de percer au pays de Nine Antico et de Bastien Vivès. Toujours promptes à aider les jeunes talents, les éditions Cornélius ont édité quatre petites affiches afin de le faire connaître.

C'est avec plaisir que nous prenons le risque d'exposer ces affichettes qui sont à vendre à 10€ pièce. Si vous aimez l'audace et l'avant-garde, si vous aimez soutenir les jeunes, venez acheter ces belles images !